vendredi 12 janvier 2018

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : RUDOLF STEINER, VISIONNAIRE AU COEUR DE L'HOMME, Colin Wilson





Etude -Rudolf Steiner, visionnaire au cœur de l’homme (1985 ; Le Rocher, 1987)

Tout comme Jung, Wilson se devait de rencontrer Steiner (1861-1925) sur le plan de sa recherche dans le domaine de la conscience[1]. Avant d’aborder la biographie proprement dite, il consacre du reste un premier chapitre aux « fondamentaux » de l’anthroposophe. Tout en reconnaissant que ses écrits sont d’un abord difficile, il cherche d’emblée à en tirer l’essentiel. Le point de départ de sa pensée est que derrière le monde matériel, il existe un univers suprasensible ou spirituel. Chacun, moyennant un simple entraînement, peut développer la faculté de voir cet autre domaine de l’être. Or l’homme est pris dans l’existence physique (le robot) et éprouve l’angoisse existentielle caricaturée par Sartre dans La Nausée. C’est la raison pour laquelle l’entrée dans « le monde de la pensée » est le premier pas essentiel du « voyage intérieur » qui peut nous conduire à la « connaissance des mondes supérieurs ».
Steiner a consacré sa vie à combattre le « réductionnisme » scientifique, telle l’idée que la conscience n’est qu’une activité du cerveau tout comme brûler est l’action du feu. Mais celui qui aurait se hisser au rang des grands philosophes du début de siècle va connaître une courbe en « cloche ». Il affute sa pensée en solitaire en se plongeant dans les œuvres de Goethe dont il tirera plusieurs études pertinentes, tout en exerçant les fonctions de précepteur dans la famille Eunike de Weimar dont il épousera la maîtresse de maison. Il se passionne pour Nietzche qu’il rencontrera à sa fin de la vie, une passion faite de fascination et de dénigrement[2]. Et il cherchera éperdument à briser sa coquille de reclus, poussé par le besoin impératif de faire connaître ses idées et de trouver un public pour partager. Il fera l’acquisition de l’hebdomadaire berlinois, Das Magazin für Litteratur et fréquentera d’obscures sociétés culturelles comme Die Kommenden (Ceux qui vont venir !).
 Sa rencontre avec Marie von Sivers, qui deviendra sa seconde épouse, marquera un tournant dans son cheminement à partir de 1901.Ensemble, en effet, ils s’orienteront vers la théosophie, alors dirigée par Annie Besant. Steiner deviendra rapidement secrétaire de la Société Théosophique pour l’Allemagne. Un étrange mariage, car s’il est loin de partager tout le credo de la ST, il trouve enfin un véhicule pour communiquer, et ce d’autant plus facilement que la société était devenue une véritable « auberge espagnole ». C’est à partir de ce moment que le philosophe brouille les cartes en se lançant, à l’instar de Blavatsky, dans une exploration des « archives akhasiques » dont il rapporte des visions pour le moins farfelues ; sans même parler de ses flashs sur l’Atlantide ou sur la Lémurie, sa description de l’univers arthurien vu au travers du château de Tintagel défie toutes les connaissances historiques sur le sujet.
Il se brouillera avec la ST, en désaccord avec la reconnaissance par cette dernière de Khrisnamurti comme nouveau messie. Steiner était resté profondément christique et pour lui Jésus ne pouvait revenir que dans un corps éthérique et non sous une enveloppe humaine. Il fondera son propre véhicule en 1913, la Société Anthroposophie, pour laquelle il fera édifier (et reconstruire après un incendie) un temple colossal à Dornach en Suisse, le Goethéanum. Travailleur infatigable, il développera ses propres approches en médecine, agriculture, éducation, théâtre (eurythmie)… Drainant des foules considérables et donnant des foultitudes de conférences, il disparaîtra à 64 ans, épuisé. Wilson résumera avec ironie son parcours : celui d’un grand philosophe qui avait voulu devenir gourou !


[1] On complètera avec intérêt cette étude par la lecture de Qui suis-je ? Rudolf Steiner de Christian Bouchet, Pardès, 2005.
[2] Il lui consacrera un ouvrage, Nietzsche, un homme en lutte contre son époque, 1895.

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