mardi 11 avril 2017

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : AL AZIF (Owlswick Press)





Le Al Azif (the Necronomicon) de Abdul Alhazred publié en 1973 par Owlswick Press (Philadelphia) est un ouvrage étonnant, puisque l’essentiel de ses pages est rédigé en une langue supposée être le Duriaque[1], et totalement illisible si l’on ne dispose que de nos seules modestes neurones. Cela dit, les éditeurs ne se sont pas trop fatigués, utilisant 16 pages de gribouillis arabisants avec quelques modifications en début et en fin de planches. Cette iconographie est dûe à Robert Dills. Une curiosité qui a été tirée à 348 exemplaires, aujourd’hui introuvables[2]. Mais c’est surtout l’introduction, signée de Lyon Sprague de Camp, qui va retenir notre attention. Cela fleure bon la mystification d’étudiants malicieux. Les lignes qui suivent sont une traduction libre de l’essentiel de la dite préface[3].
Duria [4] est un village du nord de l’Iraq, à la frontière de la région linguistique du Kurdistan. Ici, comme dans des centaines de villages irakiens aux cabanes construites avec de la boue séchée, nous sommes dans le dernier endroit où l’on parle encore le Duriaque. C’est la seule langue vivante provenant des anciens Acadiens et Assyro-Babyloniens. La forme traditionnelle écrite de ce langage fut développée au IVème siècle av. J.C. par les prêtres et les missionnaires chrétiens assyriens. Comme beaucoup d’autres langues sémites, il s’agit d’une écriture très compacte, qui ignore les voyelles atones et combine deux ou même trois caractères en un. Cela rend très délicat toute traduction. Comme les langues hébraïque, arabe et syrienne, le Duriaque s’écrit de droite à gauche.
Le préfacier demeura plusieurs jours à Baghdad en 1967 pour visiter les ruines de Babylone et de Ctésiphon. Alors qu’il « chinait » avec un ami, il fut abordé par un membre de la Direction Générale des Antiquités Irakiennes, avec lequel il avait correspondu au sujet de photographies de sites archéologiques.  L’homme expliqua qu’il avait un manuscrit à vendre. C’était là une proposition étrange, car le gouvernement irakien luttait sévèrement contre le pillage des pièces archéologiques, et les employés de ce département étaient connus pour leur probité..
Le voyageur se renseigna sur l’affaire, et la refusa poliment. Pourtant, précisa le « contact », il s’agissait d’une intéressante curiosum [5] dont son ministère n’avait pas l’utilité. Comme le prix semblait raisonnable et que le volume, s’il s’avérait sans valeur, pourrait au moins constituer un ornement décoratif amusant sur une table basse, Sprague de Camp finit par l’acquérir.
Il parla de cette affaire à l’un de ses amis, guide touristique à Beyrouth, bien introuduit dans les milieux culturels islamistes qui lui raconta ce qu’il savait sur ce livre.
La vente, semblait-il, avait été « programmée » à un haut niveau de la Direction Générale. Ecrit sur du parchemin en écriture duriaque, le manuscrit avait été déniché par un mineur clandestin oeuvrant parmi les tombes de Duria, puis était parvenu par des voies détournées entre les mains de la Direction Générale des Antiquités.  L’un des plus importants archéologues irakiens, internationalement respecté, Ja’afar Babili, avait été désigné pour effectuer la traduction du livre en Arabe moderne. Ce fonctionnaire avait à peine commencé son travail qu’il annonça avec jubilation qu’il s’agissait d’une copie complète — ou presque — d’un exemplaire du célèbre Necronomicon d’Alhazred, ou Kitab Al-Azif pour donner son titre en version originale. La version arabe de cet ouvrage avait disparu depuis plusieurs siècles, même si des rumeurs concernant sa conservation dans des endroits discrets continuaient de circuler dans certains cercles ésotériques.
En étudiant l’écriture, Babili conclut que cette transcription datait de 760 av. J.C. Babili remarqua aussi que si l’écriture était parfaitement « lisse » dans pratiquement la totalité de l’ouvrage, elle avait tendance à se détériorer dans les huit dernières pages, comme si le scripteur avait travaillé en hâte et sous une forte pression. A ce stade du travail, il n’était pas encore établi si la version duriaque provenait ou non de la version originale en arabe. Babili poursuivit sa traduction puis, quelques semaines plus tard, disparut. On ne trouva plus aucune trace de lui ; aucun motif plausible de sa disparition ne put être établi. C’était un homme sobre, travailleur, un fonctionnaire consciencieux, attaché à sa famille.
Son subordonné, Ahmad ibn-Yahya, fut provisoirement nommé à sa place. Il poursuivit aussitôt la traduction du Necronomicon. Ibn-Yahya était un célibataire aux moeurs plus libres que son prédécesseur ; mais personne, dans sa profession, ne lui avait jamais reproché un manquement aux règles ou un excès de zèle. Au bout de deux semaines, la propriétaire d’Ibn-Yahya rapporta qu’elle avait entendu des hurlements dans le modeste appartement qu’il occupait sur le Musa al-Khadim. Entrant dans le logement avec un passe, elle trouva les pièces vides. Personne ne savait rien au sujet d’Ahmad ibn-Yahya.
Le nouveau spécialiste irakien qui entreprit de poursuivre la traduction fut le Professeur Yuni Abdalmajid, de l’Université de Baghdad. Il commença sa tâche alors que les autres membres de la Direction générale des Antiquités hésitaient à faire poursuivre le travail. Le professeur Abdalmajid était considéré comme un peu excentrique par ses collègues, mais ils respectaient sa grande intelligence. C’était lui qui avait percé le secret des tablettes présumériennes de Rawson, trouvées à Ur, et fait la lumière sur les sites jusque là obscurs de l’Histoire présumérienne de la Mésopotamie.Le professeur Abdalmajid était au travail depuis trois jours lorsqu’il disparut lui aussi. Il habitait seul dans une petite maison de la banlieue de Baghdad, dans le District de Kadhmiyya. Son absence ne fut donc pas remarquée immédiatement. La police fut cependant prévenue par l’Université, en raison de ses absences répétées en cours. Dans le bureau d’Abdalmajid, on releva des taches de sang sur le sol, les murs, et au plafond, mais le professeur ne fut pas  jamais retrouvé. Il ne fait pas de doute que toutes ces disparitions doivent avoir une explication rationnelle, même si on ne peut s’empêcher de penser à la fin même d’Abdul Alhazred. Selon de nombreux témoignages, ce littérateur excentrique n’est-il pas est censé avoir été dévoré vivant par un monstre invisible ?.
Après ces disparitions successives, la Direction Générale prit la décision de ne confier le manuscrit à personne d’autre. L’Irak ne pouvait en effet pas courir le risque de continuer à perdre sa précieuse matière grise. A cette époque, la Direction était présidée par le Dr Mahmud ash-Shammari, un nationaliste pur et dur, farouche opposant des Etats-Unis en raison de leur soutien à Israël. Son plan était d’introduire discrètement aux USA le manuscrit qui ne manquerait certainement pas de provoquer un malheur parmi leurs savants.
Le guide conseilla à l’écrivain de détruire le livre, ce qu’il refusa de faire. Il était en effet connu  comme un rationaliste et un matérialiste intransigeant, irréductiblement étranger aux dieux, spectres, démons, et autres fantômes. Il connaissait parfaitement les allusions au Necronomicon dans les histoires d’H.P. Lovecraft , mais n’était nullement enclin à admettre la réalité des Grands Anciens et autres entités surnaturelles. En fait, pour lui, Alhazred et son ouvrage maudit n’étaient rien d’autre qu’une sympathique mystification littéraire.
Cela ne l’empêchera pas, de retour chez lui, de faire publier un fac-similé du manuscrit original. Il confiera à un ami, sans se départir de son rationalisme et uniquement à titre d’hypothèse, que s’il s’agissait bien du Necronomicon, la disparition des traducteurs pouvait s’expliquer par l’invocation des créatures du dehors, faite accidentellement alors qu’ils relisaient leurs notes de travail. Dans ce cas, le problème, bien sûr, aurait été de maîtriser les formules de protection, ce qui manifestement n’aurait pas été le cas.

Les Necronomicon Files (cf bibliographie) nous apprennent qu’un étudiant, persuadé d’avoir affaire au manuscrit original, avait décidé d’y consacrer sa thèse. L’éditeur devra intervenir aupès du maître de recherches afin de dévoiler la supercherie !


[1] Langue (imaginaire) proche de l’Arabe Ancien, supposée être le syriaque.
[2] Je remercie chaleureusement ici le R.P. Jean-Louis Sarro pour nous en avoir procuré un exemplaire.
[3] Celle-ci a été traduite par Jacky Ferjault et publiée dans Dragon & Microchips no 15 ****
[4] Apelée aussi Douria, Duriyya, etc.
[5] En latin dans le texte.

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