mercredi 23 avril 2014

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : MEIN KAMPF, L'HISTOIRE D'UN LIVRE par Antoine Vitkine




Mein Kampf, histoire d’un livre de Antoine Vitkine (Flammarion, 2009) fait partie de ces ouvrages indispensables pour comprendre la destinée d’un livre qui figure au troisième rang des ventes mondiales cumulées, après La Bible et Don Quichotte. Le fond, c’est à dire l’aspect terrifiant des propos de Hitler, est bien sûr analysé, en suivant un fil conducteur majeur : toutes les horreurs commises par le Führer y étaient clairement annoncées. Mais au delà du fond, c’est l’aventure éditoriale de l’ouvrage qui est à proprement fascinante. Diffusé à 12 millions d’exemplaires en Allemagne, de façon souvent forcée certes (ouvrage remis en cadeau aux jeunes mariés par exemple), il donnera lieu après guerre à un très étrange phénomène d’amnésie : « évidemment, nous le possédons, mais nous ne l’avons jamais lu ». On touche ici le problème de la responsabilité collective du peuple allemand, alors que, l’enquête de l’auteur est éloquente, c’était un livre des plus consultés dans les bibliothèques publiques. On n’emprunte pas un livre pour ne pas le lire !
Son destin international est aussi tout à fait étonnant. C’est Winston Churchill, redevenu simple député, qui en avait fait l’analyse la plus précise et avait cherché, en vain, à prévenir la communauté internationale. Les droits sont cédés par l’éditeur Verlag Franz Eher aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Italie (notamment) où il deviendra rapidement un ouvrage culte. Selon certains analystes, c’est du reste sous l’influence de Mein Kampf que Mussolini radicalisera sa politique pour lui donner une couleur antisémite. En France, en revanche, les droits pour la version complète ne seront pas cédés. Ne seront publiées que des versions édulcorées, supprimant les passages haineux contre la France. Une version « pirate » sera cependant proposée par Fernand Sorlot, qui donnera lieu à un procès de la part d’Hitler. L’ouvrage continuera pourtant à être diffusé jusqu’à aujourd’hui par les Nouvelles Editions Latines, avec quelques pages de couleur verte sous forme d’avertissement.
Les droits de l’ouvrage sont aujourd’hui détenus par le Land de Bavière, héritier juridique de Hitler. L’ouvrage est interdit en Allemagne, sauf pour ce qui est des versions publiées avant 1945. Cela dit, il est diffusé dans le monde entier, devenant, si l’on excepte le cas des milieux néo-nazis, un ouvrage culte dans les pays du Moyen-Orient (Egypte notamment) qui retrouvent dans ses pages les sirènes du nationalisme exacerbé et de l’antisémitisme. Le cas de la Turquie est à cet égard particulièrement éloquent.
Les droits de l’ouvrage tomberont dans le domaine public en 2015. D’ores et déjà, un éditeur allemand et un autre français préparent une version intégrale avec un appareil scientifique de commentaires et d’analyses.

Aucun commentaire: