lundi 6 août 2012

ROLAND WAGNER, RIP

06h00 | Mise à jour : 09h45 0 commentaire(s)

Laruscade (33) : un Cognaçais décède dans une sortie de route

La conductrice de la voiture aurait donné un brusque coup de volant.

Roland C. Wagner (archives Philippe Ménard)
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Roland C. Wagner (archives Philippe Ménard)
Roland Wagner, auteur de science-fiction cognaçais de 51 ans, n'a pas survécu à ses blessures.
Il est mort hier, vers 13 h 45, au bord de la RN 10, à hauteur de Laruscade (Gironde), dans un accident de la circulation. Légèrement blessées, sa compagne de 51 ans, qui conduisait, et leur fille de 18 ans, assise à l'arrière du véhicule, ont été conduites à l'hôpital de Blaye.
Les gendarmes de la brigade de Saint-Savin ont été chargés de l'enquête pour déterminer les circonstances du drame. Vitesse excessive ? Chaussée rendue glissante par la pluie incessante ? Moment d'inattention ou assoupissement après une prise de médicaments ?
Selon les premiers éléments dont disposent les enquêteurs, la conductrice s'était légèrement et involontairement déportée sur la voie de gauche quand elle se serait soudain aperçue qu'un autre véhicule tentait de la dépasser.
Elle aurait alors donné un brusque coup de volant vers la droite. Des témoins confirment cette violente manœuvre d'évitement.
La voiture a alors quitté la route et a percuté, de son côté droit, une buse de fossé au sol.
Les pompiers de Montlieu-la-Garde et de Saint-Savin ont dû désincarcérer les victimes, prisonnières de la tôle.




Tué dans un accident de la route, Roland C. Wagner rallie la psychosphère

L'écrivain décédé dimanche, Cognaçais d'adoption, laisse une œuvre immense.

Roland C. Wagner avait rejoint à Cognac sa compagne, Sylvie Denis, il y a une douzaine d'années.

Roland C. Wagner avait rejoint à Cognac sa compagne, Sylvie Denis, il y a une douzaine d'années. (photo archives ph. m.)

Dans ses récits, on mourrait rarement. On muait, on mutait, on se retrouvait catapulté dans la « psychosphère », un concept de son invention où les pensées les plus inconscientes se transforment en une réalité vertigineusement parallèle. À croire que la quatrième dimension elle-même n'était pas à la mesure de l'imagination explosive de Roland C. Wagner, musicien et écrivain établi à Cognac depuis une douzaine d'années.
Ce dimanche, à un mois de son 52e anniversaire, Roland a été rattrapé par la réalité la plus triviale, un funeste accident de la route sur la Nationale 10 à hauteur de Lascurade (Gironde). Sa compagne Sylvie Denis, ancienne prof d'anglais au lycée Jean-Monnet de Cognac, également auteure et traductrice de science-fiction, a perdu le contrôle du véhicule. La conductrice et la fille de Roland Wagner, âgée de 18 ans, ont été légèrement blessées. Lui a perdu la vie dans le choc. Un point final cruellement brutal pour celui qui a dévoré ses passions, la science-fiction, le punk, l'ambiance psychédélique des années 1970, avec l'appétit d'un homme libre.
L'art de surprendre À Cognac, Roland cultivait la discrétion, même s'il ne dédaignait pas partager, lors d'une conférence à la bibliothèque municipale ou d'une dédicace au Texte libre, son inépuisable maîtrise d'un genre qu'il dévorait sous toutes ses formes. « La science-fiction est la littérature qui parle le mieux du présent. J'invente, j'extrapole à partir du présent », confiait-il à « Sud Ouest » en 2002.
Avec sa dégaine de rockeur débonnaire, le chanteur du groupe Brain Damage passait moins inaperçu que le détective Temple Sacré de l'Aube radieuse, drôle de héros à l'œuvre dans « Les Futurs Mystères de Paris ». Dans cette série, clin d'œil aux « Mystères de Paris » d'Eugène Sue et au Nestor Burma de Léo Mallet, l'enquêteur arbore une qualité singulière, il est « transparent ». Il est là, mais personne ne le remarque, comme s'il n'existait pas… Pratique pour se glisser dans l'antre des secrets, moins pour interagir sur les événements. Ce personnage illustre bien l'univers de Roland C. Wagner : des situations aussi invraisemblables qu'inextricables, qu'il dénouait avec un style habile, un humour corrosif et un art de rebondir pour surprendre le lecteur jusqu'à l'ultime paragraphe.
La « psychosphère », qui revenait en toile de fond, tissait la cohérence de son œuvre. Loin des clichés de la « S-F », « mauvais genre » traité à toutes les sauces, c'est une jouissive réflexion sur l'humanité que Roland C. Wagner a brodée au fil d'une production prolifique, dessinant un univers digne des plus grands écrivains.
Uchronie sur l'Algérie À défaut de conquérir les têtes de gondole, l'écrivain a empilé les reconnaissances. Le prix Rosny Aisné, décroché en 1988 pour « Le Serpent d'angoisse », l'a propulsé au rang des auteurs qui comptent. Le Nouveau Grand Prix de la science-fiction française, le prix européen Utopiales des Pays de Loire, le prix ActuSF de l'Uchronie et le Grand Prix de l'imaginaire ont couronné le magistral « Rêves de gloire » (2011), un projet qu'il fomentait depuis une vingtaine d'années. Dans ce pavé de 700 pages, il revisite l'histoire de l'Algérie - où il a vu le jour le 6 septembre 1960, avant de rejoindre la France deux ans plus tard. Le facétieux auteur imagine que De Gaulle a été tué dans un attentat en 1960, que Woodstock s'est déplacé à Biarritz et qu'une révolution musicale agite Alger, restée française, quand le reste du pays est devenu indépendant… Ce ne sont que quelques écheveaux d'un récit complexe et exigeant, servi par de multiples narrateurs à des époques différentes.
Porté par l'excellente réception critique et publique de ce qui constitue son « grand œuvre », Roland C. Wagner venait de publier chez l'Atalante, son fidèle éditeur nantais, une série de nouvelles éclairant joliment son petit monde, « Le Train de la réalité ». Il préparait une extension numérique de cette aventure littéraire, en fervent explorateur des possibilités ouvertes par les évolutions technologiques.
Le train de la réalité l'a envoyé nourrir bien trop tôt les pensées de la psychosphère. Ses amis se souviendront d'un homme drôle, entier, infiniment libre, éternellement rebelle. « Sud Ouest » partage avec sa compagne Sylvie Denis, sa fille, sa famille et ses proches l'infinie douleur de cette disparition.






Roland C. Wagner : une vie de musique et de science-fiction

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Roland C. Wagner aux Utopiales à Nantes en 2011.
L'écrivain et chanteur français est mort le 5 août dans un accident de voiture à Laruscade (Gironde). Il était une des figures de la SF hexagonale et membre du groupe de rock Brain Damage.
Né à Bab El Oued (Algérie) en 1960, rapatrié deux ans plus tard, Roland Charles Wagner appartenait à cette catégorie d'auteurs pour qui la SF était un mode de vie entrevu dès l'enfance et cultivé par la suite, comme une utopie. "Il y a une anecdote que je raconte tout le temps" déclarait-il en 1994 au fanzine La Geste. "J'avais six ans quand je suis tombé sur un épisode de Guy l'Eclair où on voyait deux hommes en ausculter un troisième, allongé immobile au bord d'une autoroute en métal. 'Est-ce qu'il est mort ?' demande le premier homme. 'L'un de ses cœurs est arrêté mais les deux autres battent encore.' En lisant ça, j'ai eu l'impression d'entrer dans un monde où on pouvait tout se permettre."

Ce monde, Roland C. Wagner s'y plonge grâce à la collection "Anticipation" des éditions Fleuve noir où les romans de Jean-Pierre Andrevon et Louis Thirion lui offrent un premier modèle. Désigné "plus jeune fan de France" après son passage à la Convention de Grenoble en 1974 (il a treize ans), il perce au début des années 1980 et reçoit, en 1983, le prix Rosny aîné pour sa nouvelle Faire-part. La collection "Anticipation" accueille quatre ans plus tard Le Serpent d'angoisse, son premier roman, où est posé le concept de "psychosphère" qui articule inconscient collectif jungien et physique quantique. Wagner s'appuiera sur cette idée toute sa vie, conférant à son œuvre une forte unité sous-jacente.

La musique est un autre facteur d'unité. Devenu en 1983 le chanteur et parolier du groupe rock Brain Damage, Wagner s'efforce d'établir des passerelles entre ses deux domaines de prédilection, composant des textes SF pour ses chansons et saturant ses fictions de références musicales : son ultime roman, Rêve de gloire (L'Atalante, 2011) est – entre autres – l'histoire d'un mouvement musical imaginaire dont Wagner avait le projet d'importer quelques morceaux dans la réalité en les composant et les enregistrant lui-même ; cette double culture le rapproche d'un auteur comme Michael Moorcock, dont il partage aussi la précocité.

UNE UCHRONIE SUR LA GUERRE D'ALGÉRIE
Ecarté du Fleuve Noir en 1992, Wagner survit en écrivant, sous pseudonyme, des textes alimentaires. Son œuvre personnelle, psychédélique et noire, compte alors une douzaine de romans dont le meilleur est sans doute Poupée aux yeux morts (1988 ; réédité en 2002 sous le titre L'Œil du fouinain).
Mais en 1995, une mutation s'amorce avec la splendide novella H. P. L. (1890-1991), une biographie uchronique de l'auteur-culte H. P. Lovecraft où se décèle un rapport plus serein à l'écriture. Cette mutation illumine la série des Futurs Mystères de Paris (1996-2007), hommage spéculatif à Eugène Sue et Léo Malet qui marque aussi le retour de Wagner à la collection "Anticipation". Il en écrira le dernier volume l'année suivante, puis poursuivra la série aux éditions de l'Atalante.
Son projet littéraire prend la forme d'une recherche de solutions paisibles, semi-utopiques, aux problèmes de la modernité. Il quitte la banlieue parisienne, où il a toujours vécu, pour s'installer à Cognac avec sa compagne, l'auteure Sylvie Denis, et entreprend une série de traductions importantes, dont celles de son ami Norman Spinrad. En 2011 enfin paraît Rêves de gloire, gigantesque uchronie sur la guerre d'Algérie placée sous la figure tutélaire d'un Albert Camus ayant conjuré la malédiction de la Facel Véga.
Ce magnum opus, Wagner l'a préparé pendant deux décennies : sa science de la narration, sa prose fine et précise, forgées par cinquante romans et cent nouvelles, en font un succès distingué par quatre prix littéraires. Un recueil de nouvelles situées dans le même univers, Le Train de la réalité (L'Atalante, 2012) jette sur l'édifice un éclairage latéral.
Roland C. Wagner a cru viscéralement à la science-fiction : à sa valeur esthétique et à sa sociabilité. Comme bien d'autres , il a prouvé, avec sa vie, l'existence d'un chemin continu entre les fanzines de l'adolescence et les accomplissements littéraires de la maturité. Cette vie s'est arrêtée sur une route alors qu'il touchait au but. Dans le langage de la science-fiction, cela donne : "l'un de ses cœurs s'est arrêté mais les deux autres – textes et musique – battent encore."

Roland C. Wagner, en 2010, aux Rencontres de l'imaginaire de Sèvres (Hauts-de-Seine).
Repères biographiques 6 septembre 1960 : naissance à Bab El Oued
1981 : première publication professionnelle
1983 : rejoint le groupe Brain Damage
1987 : entre aux éditions Fleuve noir
1996: début de la parution des Futurs Mystères de Paris
2011 : parution de Rêves de gloire
5 août 2012 : mort à Laruscade (Gironde)

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