vendredi 31 août 2012

LES FRIANDISES DU CARDINAL : UN ETE PRODUCTIF

Régulièrement, Jean-Luc Rivera évoque ici ses coups de cœurs et ses bonheurs de lecteur...

Le Lion de Nubie de Richard Marazano et Marcelo Frusin
 
ACTU SF
 
 
 
Etant plongé dans le rattrapage de mes retards de lecture en BD, je viens seulement de lire un album d’aventures superbe, le tome 1 de "L’Expédition", intitulé "Le Lion de Nubie", sorti en février chez Dargaud, oeuvre de Richard Marazano et Marcelo Frusin. J’ai été immédiatement conquis, comme l’Egypte vient de l’être, au début de l’histoire, par Rome. Nous sommes en effet en 739 après la fondation de Rome et l’Empire consolide à peine son emprise sur sa nouvelle province. Aurelius, avocat célèbre, est appelé pour s’occuper du cas d’un Romain à demi fou qui vient d’être arrêté et qui portait le sceau de son ami Caïus Bracca, mort au combat une dizaine d’années auparavant. Marcus Livius est un déserteur, il le reconnaît lui-même, mais il a agi sur l’ordre de Bracca. Et il va nous conter l’histoire de l’expédition qu’il a monté et dirigé en accord avec celui-ci : sur un bateau inconnu échoué sur les rives du Nil a été trouvé le cadavre d’un homme orné de tatouages inconnus et couvert de bijoux somptueux. Bracca, qui est un érudit, a reconnu une écriture indéchiffrable et les tatouages, provenant d’un empire aussi riche et mystérieux qu’inconnu, au-delà des frontières de la Nubie et de la Libye. Il faut donc monter une expédition pour découvrir cet empire, pour la plus grande gloire de Rome et de Bracca. A cet effet Marcus recruté une équipe de sac et de corde, des soldats n’ayant plus rien à perdre et, avec en souvenir la statuette d’une femme superbe trouvé sur le corps, il est parti. Nous le suivons dans ses aventures pour traverser des contrées hostiles et désertiques jusqu’aux frontières de cette civilisation inconnue, atteintes à la fin de ce premier album. Vous l’avez compris, avec cette histoire, nous sommes plongés dans un récit de "lost race", aux relents fort agréables de Rider Haggard et d’Edgar Rice Burroughs, dans le coeur de cette Afrique noire où tout est possible. Et le fait que cela se déroule à une époque pour nous-mêmes déjà fabuleuse, celle de l’expansion de Rome, au lieu de l’habituelle fin du XIXème siècle, avec des légionnaires romains perdus au lieu d’explorateurs victoriens, ajoute un charme et un attrait supplémentaires à cette belle aventure. De plus, les dessins et les décors sont fort beaux - la case du combat contre l’éléphant p. 47 est superbe ! -, le tout formant un album très réussi et original. L’attente va être longue pour découvrir les merveilles de l’empire perdu mais nous pourrons lire et relire ce tome entre-temps.
 
 
 
Le Mal des esprits de Richard D. Nolane
 
Il semblerait que Richard D. Nolane soit dans une période uchronique : après la Deuxième Guerre mondiale, il s’attaque avec autant de bonheur au Moyen-Age. Dans sa nouvelle série "Démon", dessinée par Michel Suro, dont le premier volume, "Le Mal des esprits", est sorti en février, il nous fait découvrir un monde dans lequel la troisième des grandes religions du Livre n’est jamais apparue (pour des raisons qui seront sans doute explicitées plus tard) ce qui a permis au royaume wisigothique de perdurer des deux côtés des Pyrénées alors que l’empire franc fondé par Charlemagne domine l’Europe, face à la papauté romaine. L’histoire débute en 1213 quelque part dans l’Atlantique où un navire guidé par le marchand vénitien Renato Polo atteint sa destination, une île mystérieuse et désolée, aux ruines monumentales ravagées, où des richesses énormes en bijoux et objets d’or gisent abandonnées... Et deux ans plus tard, aux frontières de l’empire, revient en sa bonne ville de Rhedae (son nom moderne de Rennes-le-Château parlera peut-être plus aux lecteurs) Alaric, fils d’un conseiller de la ville et "missus dominicus" frais émoulu de l’école (ce sont les enquêteurs aux pleins pouvoirs de l’Empereur, intouchables quoi qu’ils fassent), après ses années de formation. Il découvre une région en proie au terrifiant Mal des esprits (les gens deviennent fous et incontrôlables avant de mourir), mal attribué bien entendu par le peuple superstitieux et dominé par les curés et les bigots aux Juifs et aux Cathares. Sa propre soeur est atteinte alors qu’il doit partir mener une mission urgente à Carcassonne. Il y découvrira qu’un professeur célèbre, Wallia, vient d’y être assassiné et que cela cache quelque chose d’autre, fondamentalement important pour l’avenir. Il va donc mener enquête et mission de front : Nolane, dans ce premier tome, pose tous les jalons d’une histoire fantastique et intrigante, où nous devinons qu’elle va prendre des directions passionnantes (qui peut résister à l’Atlantide et à Rennes-le-Château, sans parler des possibilités offertes par ce monde uchronique ?),avec un personnage principal, Alaric, sympathique, intelligent et tolérant pour son époque et d’autres ambigus - Renato Polo ou le pape - ou franchement répugnants - l’inquisiteur de Carcassonne ou le comte de Rhedae. Le dessin de Michel Suro est fort agréable. Je me suis pris au jeu de la comparaison des mondes et des conséquences des points de divergence sous-entendus, logiquement tirées par Nolane. Inutile de dire que j’attends maintenant avec impatience la suite pour en savoir plus !
 
 
 
Ignition City de Warren Ellis et Gianluca Pagliarani
 
Les vacances sont un bon moment pour rattraper des lectures en retard, ce que j’ai fait en particulier pour les BD. Et c’est aussi l’occasion de réaliser que l’on n’a pas lu dès sa sortie un chef d’oeuvre ! Cela vient de m’arriver avec "Ignition City", scénario de Warren Ellis et dessins de Gianluca Pagliarani (Glénat, collection Avatar). Certes le nom de Warren Ellis est synonyme de grande qualité mais là il s’est surpassé : Ignition City est le dernier astroport ouvert sur la terre dans les années 50. En effet, la conquête spatiale a débuté dans les années 30 mais, suite aux ravages causés par les extraterrestres, les gouvernements de tous les pays se sont frileusement repliés sur eux-mêmes : au début de l’histoire, Mary Raven, la fille du célèbre pilote spatial Rock Raven et elle-même pilote émérite, vient de se faire confisquer sa fusée et apprend que la France vient d’interdire le vol spatial, que le Royaume-Uni va faire de même et que son père vient de mourir. Elle va donc se rendre à Ignition City, île isolée du monde et territoire international, pour y récupérer les affaires de Rock et comprendre les causes de son décès. Elle va y découvrir un lieu mourant, dépotoir où les derniers pionniers de l’exploration spatiale terminent leurs jours, ayant perdu tout espoir de voler à nouveau : Bowman l’Eclair, après ses exploits sur la planète Khargu et le renversement du maléfique empereur Kharg, est devenu trafiquant d’armes alors que son ex-femme, Gayle, tient un bar où vient se saoûler en permanence un certain Bronco, renvoyé du XXVème siècle où il avait mené la révolte des Américains contre leurs oppresseurs asiatiques, sans parler du génial Doc Vukovic, l’homme qui avait construit la première fusée dans son hangar pour aller sur Kharg, dont on vient saccager le laboratoire une fois par mois ou du marshall Pomeroy, à l’armure de "King of the Rocket Men", complètement pourri par le système, et d’autres encore comme un certain nombre d’extraterrestres que l’on s’amusera à identifier... Vous l’avez compris, il s’agit là d’un superbe hommage de Warren Ellis à tous les personnages des pulps et des serials des années 30 : mais les héros sont fatigués et désabusés, la conquête spatiale n’a pas tenu ses promesses d’avant la 2ème guerre mondiale (faut-il y voir une critique voilée de l’arrêt de notre propre programme spatial dans les années 70 ?) et le monde n’a plus guère de rêves ni d’espoir.
Résultat : un magnifique album, bourré de références et de clins d’oeil à l’Age d’or de la SF, où l’on distingue les derniers feux ténus de ce qui a porté les hommes vers la frontière ultime, superbement servi par le dessin très fin et tout en demie-teinte de Gianluca Pagliarani qui rend bien l’atmosphère glauque dans laquelle baignent histoire et personnages. Un bel exemple de rétro-futurisme réussi qui fait attendre avec impatience une suite.
 
 
 
Sous le signe du Scorpion de Maggie Stiefvater
 
Je ne suis pas, en général, un très grand lecteur de littérature fantastique proprement dite - à l’exception, bien entendu, de la littérature vampirique - mais il m’arrive, de temps en temps, de lire un roman sortant du commun. Et c’est le cas de "Sous le signe du Scorpion" de Maggie Stiefvater (Hachette / Black Moon), une histoire à la fois originale et envoûtante. L’auteur nous emmène sur la petite île désolée et sauvage, battue par les vents et la mer, de Thisby, une vieille terre gaëlique qui vit à l’écart de son époque (époque d’ailleurs non spécifiée mais qui semble être la première partie du XXe siècle). Thisby vivote toute l’année et n’attire les touristes du continent qu’à l’époque de ses courses de chevaux, fameuses entre toutes, le 1er novembre, en plein signe du Scorpion. Car c’est pendant le mois du Scorpion qu’arrivent de la mer et peuvent être capturés et montés, au risque de sa vie, les célèbres "capaill uisce", les chevaux de mer féroces et carnivores. En donnant vie à ces contes des chevaux marins maléfiques qui incitent les humains à les monter afin de mieux les entraîner sous les eaux, contes que l’on trouve aussi bien en Ecosse qu’en Irlande, Maggie Stiefvater, dans une prose superbe, nous raconte l’histoire de deux adolescents, Sean Kendrick, cavalier émérite qui comprend intimement les chevaux y compris marins et a déjà gagné plusieurs courses, et la jeune Puck Connolly qui va participer pour la première fois avec sa petite jument "normale". Tous deux doivent, pour des raisons impératives, gagner la course ; leur histoire et leur rivalité nous sont racontées en courts chapitres, écrits à la première personne, par chacun d’eux, en alternance. Ils nous font ainsi partager leurs sentiments, leurs réactions l’un par rapport à l’autre, face aux autres - une belle galerie de personnages allant de l’homme riche et sans pitié de l’île, M. Malvern, aux soeurs Maud, commerçantes en souvenirs divers, ou à Peg, la femme du boucher et la gardienne des traditions de Thisby, sans compter George Holly, l’Américain éleveur de chevaux en Californie. Maggie Stiefvater a su parfaitement rendre l’atmosphère pesante, pour ne pas dire étouffante, de cette petite communauté d’êtres relativement frustes, renfermés sur eux-mêmes face aux étrangers, et qui essaye de s’adapter à une certaine modernité au risque de perdre son âme et chez qui subsiste toujours la sauvagerie des âges anciens sous un très mince vernis de civilisation. Elle rend aussi très bien l’excitation grandissante et la soif de violence montant à l’approche de la course et, point d’orgue, celle-ci. Par petits détails, nous en apprenons un peu plus, mais pas beaucoup, sur les "capall uisce" et la vieille religion supplantée (l’a-t-elle été vraiment ?), mais finalement à nous de remplir les blancs car ceux qui pourraient nous le dire tiennent tout cela pour acquis donc pas à raconter, sans compter que nous, lecteurs, sommes des étrangers...
Maggie Stiefvater a écrit là un roman complètement différent de ses précédents, où s’expriment la difficulté d’être et d’aimer, et de l’exprimer, de deux jeunes gens qui font l’apprentissage de la vie et de l’amour sans avoir jamais eu les outils - ou les parents car ils sont tous deux orphelins - nécessaires : voilà un roman extraordinaire dans tous les sens du terme et une très belle histoire d’amour, entre un garçon et une fille, mais aussi entre des êtres humains et des chevaux, un roman violent, intimiste, poignant et attachant, un très grand roman.
 
 
 
Le Prince écorché de Mark Lawrence
 
Mark Lawrence est un nouveau venu sur la scène de la "dark fantasy" où il fait une entrée magnifique avec "Le Prince écorché" ’premier tome de "L’Empire brisé", Editions Bragelonne). Et quand je dis "dark", je suis en-dessous de la réalité : le roman débute par une scène d’ultra-violence qui fait passer Alex et ses copains pour des enfants de choeur. Le "héros" en est le prince Jorg Ancrath, treize ans à peine et déjà quatre années de tueries et de pillages derrière lui, car il a quitté le château du roi son père après l’assassinat dans des conditions épouvantables, lors d’un voyage, de sa mère et de son jeune frère pendant qu’il survivait de justesse à des blessures atroces. Il est devenu un être froid et détaché, pour qui seul compte le "jeu", à savoir gagner la partie qui consiste à devenir roi à son tour et surtout à rétablir l’ancien "Empire brisé" en plus d’une centaine de petits royaumes à la suite de la "Guerre des Mille Soleils". Nous comprenons vite qu’il s’agit aussi de science-fiction car nous sommes manifestement dans un monde retombé en grande partie à un degré de civilisation moyen-âgeux, où seuls subsistent quelques vestiges de la grandeur passée. L’auteur peint ainsi un petit morceau de ce qui est sans doute l’ancienne Europe, vraisemblablement le sud de l’Angleterre, la Bretagne ou la Normandie, éclatée en nombre de petits fiefs rivaux qui se livrent des guerres picrocholines sans merci. L’Eglise de Roma est naturellement l’un des pouvoirs importants, se livrant à la chasse au pouvoir temporel et à celle des sorciers car l’une des conséquences de la guerre qui a lieu trois cents ans auparavant a été de rendre possible, dans des conditions mal élucidées, la présence de fantômes, de nécromants ressemblant furieusement à des vampires, de ce que nous comprenons être des mutants et permettant à une sorte de magie de fonctionner. Cela donne un monde terrible et magnifique, fort bien décrit par l’auteur.
A travers les mémoires de Jorg, car tout le roman est écrit à la première personne d’une manière froide et analytique ce qui le rend encore plus efficace et terrifiant, nous entrons dans l’esprit d’un "monstre", nous voyons la manière dont il fonctionne et nous éprouvons une fascination morbide pour ce "Prince écorché", victime des machinations de sa famille qui pourrait rendre des points à nos rois mérovingiens et de mages tout-puissants auquel il sert de pion alors qu’il croit mener sa propre partie. Tout l’intérêt du livre est là, dans cette partie où chacun croit être un joueur et où chacun est une pièce, où tous sont sacrifiables et sacrifiés sans beaucoup de regrets car tout ce qui compte, n’est-ce pas, c’est de gagner (cela rappelle beaucoup les discours contemporains sur l’intérêt supérieur du pays et la doctrine militaire des dommages collatéraux acceptables...). Accompagné de la bande de coupe-jarrets dont il est devenu le chef par des actions calculées qui sont expliquées de manière détachée, Jorg entreprend de réaliser ses buts, de vivre sa propre vie, mais est-ce bien le cas ? Mark Lawrence nous fait assister au déroulement d’une pièce dans un théâtre de marionnettes où chaque marionnette est aussi un marionnettiste mais est-ce un assemblage de poupées russes ou un cercle fermé ? Vous le saurez en lisant ce roman extraordinaire, où il n’y a guère de personnages sympathiques mais uniquement des victimes-bourreaux qui se débattent dans des situations impossibles en essayant, au mieux de faire au moins mal, au pire sans se préoccuper de quoi que soit, l’important étant de survivre à l’instant présent. J’ai lu le roman en une nuit, passionné par le destin de Jorg, personnage répugnant et attachant - il faut féliciter l’auteur pour ce tour de force réussi - et par cet univers de violence et de beauté en ruines. Un grand moment de lecture !
 
 
 
L’Alliage de la Justice de Brandon Sanderson
 
Je fais partie de ces lecteurs qui apprécient particulièrement l’originalité, une denrée de plus en plus rare dans les ouvrages d’imaginaire où l’on pourrait croire, à tort, que tout a déjà écrit au moins une fois. Et de l’originalité, Brandon Sanderson en a à revendre, comme le démontre, une fois de plus, son dernier roman, "L’Alliage de la Justice" (Orbit). Il nous emmène à nouveau dans le monde de Scadrial, ce monde qu’il nous avait déjà fait découvrir dans la magnifique trilogie des Fils-des-Brumes (Orbit), un monde où certains ont le pouvoir de brûler un métal ou un autre, ce qui leur confère des capacités surhumaines - on les appelle des allomanciens - et celles-ci peuvent être emmagasinés dans des cerveaux métalliques auxiliaires - la ferromancie -, pouvoirs dont ils usent ou abusent selon le cas, ce qui avait entraîné la révolte et le renversement de l’Empereur Ultime contés dans la trilogie précédente. Trois siècles plus tard, les héros de cette aventure magistrale sont devenus des personnages de légende et la ville-capitale du monde connu, Elendel, continue de se dresser fièrement, avec maintenant des éclairages électriques, des chemins de fer, quelques voitures automobiles et ses premiers gratte-cielcar, contrairement à la plupart des univers de fantasy, ici la technologie connaît des avancées et la société n’est pas statique mais progresse.
Suite à la mort accidentelle de son oncle et de sa soeur, lord Waxillium Ladrian (Double-Fils car il combine deux pouvoirs allomantiques au lieu d’un comme la plupart) a quitté à regrets son poste de "garde-loi" dans les Rocailles, cette Frontière où l’ordre et la justice sont sommairement rendus, pour rentrer à Elendel assumer son rôle de chef de l’une des grandes maisons et essayer de rétablir la sécurité financière de celle-ci, mise à mal par la gestion de son oncle. Et quel meilleur moyen que de faire un mariage de raison avec une femme richement dotée ? Il rencontre ainsi Steris, femme de tête et solution à ses problèmes d’argent mais pas d’amour. Mais au moment où il s’est fait une raison et décidé à ranger ses pistolets Sterion, voilà qu’apparaît son ancien adjoint, Wayne, maître en déguisements, qui essaye de le faire rempiler avec les forfaits du gang des Subtilisateurs, ces bandits qui réussissent à piller des cargaisons de train à l’intérieur de wagons plombés sans les ouvrir et qui ont commencé à dévaliser aussi les voyageurs, prenant des otages pour couvrir leur fuite. Ils vont cependant commettre une erreur fondamentale : attaquer et voler les participants à la soirée à laquelle assiste Wax et enlever Steris, plus essayer de tuer Wax ! Aidé de Wayne et de Marasi, la cousine de Steris, étudiante en criminologie, cette science nouvelle, lord Waxillium va mener son enquête qui va le forcer à résoudre plusieurs énigmes : pourquoi les Subtilisateurs volent-ils aussi bien de la laine que l’aluminium ? comment s’introduisent-ils sans effraction dans des wagons fermés de l’intérieur ? que font-ils des otages qu’ils ne libèrent jamais ? qui est le chef du gang ? Cela va l’entraîner dans une quête ponctuée de nombreux cadavres et de tout aussi nombreuses explosions, de fusillades et de batailles épiques, de rencontres avec des personnages étonnants, comme l’armurière Ranette ou le légendaire Miles, le garde-loi immortel grâce à son pouvoir tiré de l’or. Brandon Sanderson nous donne des descriptions époustouflantes des combats que l’on peut livrer lorque l’on est un Fils-des-Brumes expérimenté, en utilisant toutes les possibilités offertes, et il n’oublie pas d’exploiter toutes les potentialités présentées par ce métal rare qu’est l’aluminium, sur lequel les allomanciens n’ont aucun pouvoir, ce qui donne donc des armes "ultimes" aux balles invulnérables (tout en tenant compte des lois de la physique, incontournables dans ce monde comme dans le nôtre)... Il manipule avec brio tous les ressorts de la littérature populaire : personnages attachants et tourmentés (en résolvant cette enquête Wax se trouvera lui-même, Wayne affrontera ses démons intérieurs), vilains mégalomaniaques comme on les aime et méchants particulièrement vicieux, complots et conspirations imbriqués les uns dans les autres à la manière de poupées russes, le tout dans une ville proche du Londres victorien mais avec des personnages à la mentalité Far West. Cela donne un mélange détonnant - dans tous les sens du terme -, un roman qui est à la fois un polar de détective à la Nick Carter, une sorte de western urbain et une belle oeuvre de "fantasy scientifique", bref un "page turner" que j’ai lu en une nuit blanche, magistralement traduit, comme les précédents, par Mélanie Fazi qui rend toutes les subtilités de la langue de Sanderson. Et, pour parfaire notre bonheur, est ajoutée en fin de volume une courte nouvelle, "Le onzième métal", ressortant des "Fils-des-Brumes", sans oublier des récapitulatifs des métaux et de leurs propriétés afin de mieux suivre. Un grand bonheur de lecture !
 
 
 
La Tour Elfique de Michael J. Sullivan
 
Il y a quelques semaines (avril) je vous faisais part du plaisir que j’avais eu à lire le premier tome des "Révélations de Riyria" de Michael J. Sullivan (Milady) et de mon impatience à lire la suite. Nous n’avons pas eu à attendre trop longtemps car le tome 2, "La Tour Elfique", est sorti en juin (toujours chez Milady). Deux ans se sont écoulés, nos deux héros, le talentueux voleur Royce et le combattant hors-pair Hadrian, coulent des jours heureux et relativement paisibles ; ils n’ont cependant pas oublié leurs mésaventures précédentes et nous les retrouvons dans la bonne ville de Colnora, cherchant à régler leurs comptes avec le baron DeWitt, l’homme qui les avait trahi et entraîné dans l’affaire de "La Conspiration de la Couronne", devenue une pièce de théâtre à succès ! Mais leur destin va changer car, ayant toujours trop bon coeur, ils vont accepter d’accompagner une jeune femme, Thrace Wood, dans son village natal perdu de Dahlgren afin de sauver son père car le village est ravagé par une bête inconnue qui massacre les habitants et dont le baron local a lui-même été victime. A partir de là tout bascule : ils vont se retrouver pris, pour notre plus grand plaisir, dans les méandres d’un grand complot de l’Eglise d’Ervanon qui cherche depuis des siècles l’Héritier disparu de l’Empire et a décidé d’organiser un grand tournoi pour le mettre sur le trône, tournoi truqué, cela va sans dire. Et la princesse Arista, la magicienne rencontrée précédemment, nommée ambassadrice par son frère, le roi Aldric, va se trouver partie prenante aux intrigues de l’Eglise. Bien entendu, l’intrigant et puissant magicien Esrahaddon réapparaît aussi. Résultat : un nouveau roman d’aventures, de bien beaux combats, de nouvelles révélations en cascade qui nous en apprennent plus sur les origines cachées de nos deux héros, un monstre particulièrement réussi - le Gilarabrywn -, des personnages de "méchants" toujours aussi ambigus et donc intéressants - le "bon" évêque Saldur, ce grand-père débonnaire, continue de pousser ses pions, l’inquiétante et fanatique Sentinelle Luis Guy, porte-parole du patriarche de l’Eglise de Novron -, de belles descriptions de lieux - le palais du roi de Dunmore et de ses occupants vaut le détour, comme la splendide Tour elfique qui donne son nom donne son titre au roman. Les personnages "secondaires" sont pléthore et tous sont très humains, avec leurs qualités et leurs défauts - que ce soit le diacre Tomas par exemple ou le père de Thrace, Theron, et, bien entendu, le nain assoiffé de connaissances et dépourvu de scrupules Magnus. Et il y a même, enfin, des elfes !
L’auteur fait toujours preuve du même humour un peu grinçant mais le ton est plus sombre que dans le premier volume car les enjeux sont devenus plus importants et mieux appréhendés par nos personnages qui ont vieilli et mûri. Cela donne un bon roman de cape et d’épée et de fantasy qui se lit d’une traite car l’on se laisse prendre avec plaisir dans les rets de l’intrigue. Ma conclusion sera identique à celle de mon coup de coeur précédent : vivement le troisième volume de ces "Révélations de Riyria" !
 
 
 
Bad to the Bone de Jeri Smith-Ready
 
Il y a quelques mois (mars), je vous faisais part de mon enthousiasme pour le premier volume ("Wicked Game", Milady) d’une nouvelle série de bit-lit intitulée "Le Sang du rock" : le deuxième volume, "Bad to the Bone" (toujours chez Milady) me confirme dans mon impression qu’il s’agit là d’une des meilleures séries de bit-lit actuelles, par son originalité et son traitement du vampirisme et des problèmes qu’il soulève. Nous retrouvons Ciara Griffin, l’attachée de presse/commerciale de la station WVMP, la station qui a bâti sa célébrité sur les 5 DJ vampires qui animent ses émissions nocturnes, son patron David et toute la petite bande de la station, s’apprêtant à fêter Halloween avec une grande soirée au "Cochon qui fume", le pub qui les soutient depuis le début. Manque de chance, une organisation de fanatiques fondamentalistes décide de pirater la fréquence, émettant de la propagande anti-vampirique et anti-sataniste, anti-femme pour faire bonne mesure, et de mettre le feu au pub alors même que Jeremy, un jeune journaliste est présent pour faire un article à paraître dans le prestigieux "Rolling Stone". Résultat : pendant plus de 450 pages pleines d’humour et de rebondissements, Ciara va être obligée de gérer la situation, trouver les coupables, travailler avec le Contrôle (l’organisation para-gouvernementale qui s’occupe des questions vampiriques) alors même qu’elle vient de se faire adopter par Dexter, un chien-vampire fruit d’une expérience scientifique ratée (il est trop gentil !), continuer de régler ses problèmes domestiques et familiaux - parents prêcheurs escrocs et petit copain, Shane, vampire hyper maniaque, sans compter son attirance pour son beau patron, David, chez qui elle se retrouve obligée de squatter lorsqu’elle est expulsée de chez elle... Nous en apprenons plus sur la vie des vampires autres que ceux de la station, sur le passé/passif de Regina, la DJ qui concentre l’ire des fanatiques, femme et vampire, tout pour leur déplaire. Jeri Smith-Ready continue aussi d’explorer les aspects psychologiques du blocage des vampires dans l’époque à laquelle ils ont été transformés et les efforts de Ciara et de Shane afin d’empêcher celui-ci de se "faner". L’auteur fait toujours preuve de la même verve, règle habilement, à travers quelques remarques bien senties, leur compte aux militaires et aux protestants fondamentalistes (la description des réunions du groupe de lutte contre la dépendance à la morsure des vampires, sur le modèle des groupes pour se débarrasser de la drogue ou pour lutter contre sa personnalité gay, est très bien troussée), et nous présente, une fois de plus, une bande-son bien choisie, que ce soit en début de livre ou par l’intermédiaire de ses titres de chapitres particulièrement bien trouvés. Je reprendrais la conclusion de mon coup de coeur précédent : vivement un nouveau concert avec le volume 3.
 
 
 
Les Princes de la pègre de Douglas Hulick
 
Il me semble que, depuis quelques années, les thèmes de la fantasy se renouvellent : finis les sempiternels dragons, nains, elfes et autres trolls évoluant dans un environnement pseudo-moyenâgeux, avec des chevaliers droits dans leurs bottes. Les sociétés changent d’époque, les mages suivent souvent des règles d’utilisation de la magie fort strictes qui se transforme en une énergie d’un autre type, les héros sont plus souvent des anti-héros. C’est le cas dans l’excellent roman de Douglas Hulick, "Les Princes de la pègre" (premier tome des "Bas-Fonds d’Ildrecca", L’Atalante). Comme l’indique le titre de la série, l’auteur nous emmène dans la cité d’Ildrecca, sorte de ville italienne de la fin de la Renaissance, dans laquelle les habitants portent pourpoints et hauts-de-chausses à crevés et où l’on se bat à l’épée et la dague. Ildrecca est la capitale de l’Empire, un empire à la fois immuable car, depuis trois cents ans, règnent à tour de rôle les trois incarnations - Markinos, Théodoï et Lucien - de l’Empereur Stephen Dorminikos, et déchiré car les incarnations deviennent de plus en plus paranoïaques. Et, dans les bas-fonds de la ville, ce qui est en bas étant comme ce qui est en haut, règne la Famille, l’ensemble des bandes et clans de la pègre, regroupés autour de chefs divers dans chaque quartier ("cordon" dans le roman), sous l’autorité des "princes gris" depuis que l’Empereur a fait exécuter le premier et le seul "roi noir". Toute une hiérarchie existe au sein de la canaille qui parle un langage particulier et fleuri, qui ne constitue pas l’un des moindres attraits du roman. Drothe, "nez" (c’est-à-dire informateur chargé de faire le tri dans les rumeurs) du chef de gang Nicco, et trafiquant occasionnel de reliques impériales (activité criminelle à haut risque...), va remonter la piste d’un livre qui semble attirer l’attention de nombreux personnages puissants et laisse dans son sillage une traînée de cadavres. Petit à petit, aidé de son ami Bronze Dégane (combattant d’élite d’un ordre mercenaire) et du puissant magicien à gages djanais Jelem, il va se retrouver à son corps défendant acteur manipulé et manipulateur de la chasse au journal d’Ioclaudia, l’une des magiciennes du dernier Empereur unique, journal qui recèle apparemment des secrets si vitaux que rien ne peut se mettre en travers de son acquisition. Cela nous donne près de 500 pages d’une action serrée, où l’auteur met en scène non seulement les principaux protagonistes déjà cités mais aussi toute une galerie de personnages d’une densité impressionnante, que ce soit Christiana, ex-courtisane devenue baronne et soeur de Drothe, Kells, chef de gang et ennemi juré de Nicco, et d’autres dont je ne vous parlerai pas afin de ne pas vous dévoiler les ressorts de l’intrigue. L’auteur nous fait aussi découvrir le petit peuple, que ce soient les travailleurs ou les truands, coupe-jarrets et autres mendiants qui forment la lie mais aussi la vie et l’âme de la cité. Tout cela contribue à rendre le roman très réaliste, d’autant plus que nous découvrons petit à petit la complexité et les rouages de cette société où l’usage de la magie est sévèrement codifié et réprimé, où chacun connaît la place qui est la sienne et où, comme dans toute société, le changement tend à faire peur. C’est aussi, et surtout, une belle histoire humaine, celle de Drothe, ou comment peut-on être un petit truand et un homme bien, "honorable" !
Je terminerai en soulignant le beau travail de traduction de Florence Bury qui a su très bien rendre en français l’argot de la pègre et le ton du roman voulu par l’auteur.
De la grande fantasy adulte, bien écrite et prenante, un auteur et un roman à découvrir.
 
 
Jean-Luc Rivera

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