jeudi 10 février 2011

UN BEAU DIMANCHE A L'ESCURIAL




Dimanche 6 février, 10h30 ; la station de métro Gobelins est pratiquement déserte, mais une petite dame me demande à la sortie où se trouve le Boulevard du Port Royal. Je le lui indique, en me disant, "elle y va". Je sors à mon tour et "j’y vai"s. Le cinéma L’Escurial est à deux pas de la station de métro, les caisses ne sont pas encore ouvertes, et à la vue de la queue qui grossit à vue d’œil, force est d’admett"e qu’ils y sont déjà. Je retrouve le Cardinal de Sèvres, qui a mis pour l’occasion un très discret costume de clergyman, et "nous y allons". Nous nous acquittons d’un droit d’entrée de 10 € et nous nous installons en toute discrétion au fond de la salle. Je ne suis pas persuadé du reste que l’idée ait été excellente, car nous sommes tout près des toilettes. Et le public de notre rangée, essentiellement féminin, ne cesse de nous bousculer car « il faut prendre ses précautions. » La salle est maintenant pleine à craquer ; nous relevons 200 personnes. M. D. fait son apparition, et, avec son accent savoureux de Pologne, nous explique son bonheur de vivre à Rennes-les-Bains, à 5 km de Rennes-le-Château et 6 km de Bugarach. Elle y exploite avec son mari une petite affaire de production vidéo, centrée sur le développement personnel et les grands mystères. Et aujourd’hui est un grand jour. Celui de la présentation de leur dernière production à un public parisien impatient et affolé, tant l’affaire Bugarach alimente l’actualité, tous médias confondus.

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Depuis quelques mois, une rumeur étrange se répand, répercutée par les grands médias : le calendrier Maya laisserait prévoir la fin du monde pour le 21 décembre 2012. Et, récente « information », un site serait préservé : Bugarach. Nous ne pouvions rester indifférents. Plusieurs chercheurs en diverses matières s’expriment dans le film que nous vous présentons. Ce film n’a rien d’un scénario catastrophe, au contraire. Les intervenants sont d’accord pour nier un déterminisme nous conduisant à des catastrophes inévitables. Nombreux d’entre eux voient même, dans la période agitée que vit notre planète, l’occasion de revenir aux valeurs fondamentales et de laisser le matérialisme ambiant à une place plus modeste. « Connais-toi et tu connaîtras la Nature et les dieux : La devise du Temple de Delphes semble plus que jamais d’actualité. »

La productrice commence par remercier les nombreuses vedettes de ses films, présentes dans la salle : thérapeutes alternatifs, astrologues, voyants, bref le top de la Recherche Parallèle. Et les précautions étant cette fois définitivement prises, la projection peut commencer. Marie-Thérèse de Brosses, arrivée en retard, se glisse discrètement dans la salle, cachée derrière de grandes lunettes noires.

Les images sont belles, et il faut le reconnaître, le pic de Bugarach est un endroit magnifique. Selon les géologues, il s’agit d’une montagne « inversée », les couches s’étant « retournées » suite à un bouleversement tellurique. Nous entrons dans le vif du sujet par une interview fort sympathique du boulanger du village (190 habitants) qui commente d’un ton rigolard le buzz qui se développe actuellement autour de sa commune. Car il est bien certain que les modestes capacités d’accueil du lieu seront largement insuffisantes pour faire face à l’afflux de candidats à la survie que les médias annoncent en milliers, voire en millions. Le boulanger du reste de conclure, « mais c’est la terre entière qui va se retrouver ici ». Puis le film bascule doucement vers ce qu’on appelle désormais « le next âge », avec sa cohorte de paisibles chamanes, prophètes et autres éveillés qui chantent, prient et dansent (L’un d’entre eux s’appelle « Aigle Bleu »). Ce n’est plus de fin du monde dont on parle, mais de la fin d’un cycle. Il faut se débarrasser de sa vieille enveloppe, s’ouvrir à la nature et à l’amour. Au son des tambourins et avec force plumes et tatouages criards. Quelques parenthèses nous sont proposées. On y voit le chercheur Christian Doumergue crapahuter sur le mont voisin, celui du Cardou, à la recherche d’un tombeau sacré (1). Car la région est riche en Mythes et Légendes et celle de la Tombe Perdue est devenue très populaire. On y croise également le chercheur Jean Blum parlant à mots couverts des lourds mystères de la région et de la malédiction qui plane sur le Bugarach. Il illustre ce dernier point en faisant allusion à l’affaire dite Bettex, du nom (que Jean Blum ne prononce pas) d’un chercheur suisse qui serait décédé après avoir exploré un souterrain de la montagne. Cette affaire, qui trouve sa source dans les écrits d’un auteur de la région (2), est tout à fait intéressante sur le plan de l’anthropologie en matière mythologique. Car bien que ne reposant sur aucun document, elle est régulièrement reprise dans tous les travaux ayant trait au Bugarach et devient au fil du temps un « fait avéré ». Mais le bon sens reprend rapidement le dessus et Jean Blum conteste fortement toute probabilité de fin du monde et donne rendez-vous au public début 2013 pour un apéritif géant.

Nous sortons de la salle en croisant plusieurs fidèles des « Repas Ufologiques », certainement restés sur leur faim car les OVNIS, pourtant omniprésents dans le légendaire de la montagne, n’étaient pas directement au menu. Pour ma part, la faim sera d’une autre nature : car toute cette affaire se résume simplement en deux affirmations : « D’après le calendrier Maya, la fin du monde est programmée pour le 21 décembre 2012. Seuls eux qui seront sur le Mont Bugarach seront sauvés ». Or de cela, il n’en n’a pas été vraiment question.
Que dit le calendrier Maya ? Dans un récent article publié sur internet, Yves Lignon écrivait : Parlons en un peu de ce calendrier Maya. Comme tous ses pareils, il est basé sur la notion de cycle puisque la vie de la nature est cyclique. Sa structure est seulement plus complexe que celle que nous visualisons sur l'Almanach du Facteur. Sans doute est-ce la raison qui le rend un peu difficile à manipuler par les amateurs. Oui, d'après le calendrier Maya, un cycle est actuellement proche de s'achever mais, n'en déplaise aux auteurs d'erreurs de calcul volontaires ou non, proche, pour les Mayas, c'est l'an 2220 de notre ère. Et prière de ne pas s'imaginer que, rectification faite, nous ne disposons que d'un sursis de 208 ans pour mettre nos affaires en ordre. Le calendrier Maya ne présente nullement le cycle en question comme devant être le dernier de l'histoire de l'humanité.
Bon, et quant à l’autre assertion, je pense que leurs « inventeurs » doivent bien rigoler dans l’ombre. Ou peut être mettre au point leurs « stages de survie » pour exploiter l’incrédulité publique. On n’a pas fini d’en parler. Madame Rose, de Rennes-les-Bains, me disait la semaine dernière : « l’impact sur la région va être encore plus fort que celui déclenché par la publication du Da Vinci Code ». Elle n’a pas de soucis à se faire pour le remplissage de ses chambres d’hôte !

Et puisqu’on parle de faim, nous partons avec Marie-Thérèse de Brosses nous réconforter aux « Négociants », un excellent bar à vin du quartier des Gobelins.
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